« Je vois, je vois… qu’une imprimante 3D située dans l’aile ouest d’un hangar au sud de Vaulx-en-Velin tombera en panne le mercredi 12 août 2026 ». C’est aussi ça, l’Intelligence Artificielle
Maintenance prédictive et IA : la boule de cristal 4.0
Matthieu Beghin, Responsable avant-vente chez Prodware analyse le sujet et partage son expertise sur les évolutions en cours.
Alors que nous assistons depuis quelques années aux développements du concept de maintenance prédictive et que les applications de l’Intelligence Artificielle vont peu à peu accélérer sa démocratisation et favoriser son développement, la convergence de ces deux technologies induit une mutation profonde du secteur secondaire. En d’autres termes, leur évolution est un bouleversement pour l’industrie d’aujourd’hui et de demain. La maintenance prédictive à l’heure de IA, une nouvelle révolution industrielle ? Oui, mais pas seulement…
Deviner le futur ne va pas sans connaître le présent.
Or, le présent, quand on parle de maintenance, de machines, d’Intelligence Artificielle, c’est flou. On est bien loin de la clairvoyance, du schéma bien établi, du lien de cause à effet immuable et limpide. Si les premiers bénéfices de l’IA se font sentir, si les premières utilisations de la donnée à grande échelle commencent à dessiner de nouvelles frontières à l’anticipation et à la planification en entreprise, l’heure n’est encore qu’à un mélange d’enthousiasme, de foi, voire parfois de fantasme. La révolution, si révolution il y a, ne se fera certainement pas en un jour. Encore moins demain.
Le futur par inertie
Une chose semble claire : nous ne voyons, à ce jour, qu’une toute petite partie du potentiel d’implémentation des solutions de maintenance prédictive dans le secteur industriel. Ceci pour une raison évidente : l’IA n’en est, elle aussi, qu’à ses prémices. Or, les développements de ces deux technologies sont intrinsèquement liés.
Ces frémissements ont deux conséquences. Premièrement, savoir que le marché n’est pas encore mature, c’est aussi pouvoir en déterminer les acteurs les plus pertinents. L’industrie et les grands groupes apparaissent ici comme les premiers destinataires de ce type de solution. Pour une question de moyens certes, mais aussi de maturité technologique. Deuxièmement, cela permet de prendre le temps d’étudier les interconnexions possibles entre la maintenance prédictive et les technologies existantes et déjà déployées. La collecte de données est prête pour une utilisation beaucoup plus ample par le système de production. La donnée est partout, disponible, en attente d’un meilleur usage. Or, si la donnée est partout, elle ne concerne pas que le champ de l’industrie, et la maintenance prédictive pourrait bien étendre son rayonnement au-delà de ses murs.
Une fois le lien établi entre les données disponibles, la capacité de calcul, et le parc industriel, les opportunités sont presque illimitées. Économies d’échelle, développement international allant de pair avec une forme de mondialisation 4.0… les prochaines avancées de la maintenance prédictive pourraient bien voir l’industrie faire tache d’huile.
Un écosystème remis en question
Cette inertie a pour conséquence de changer fondamentalement le rôle de chacune des parties prenantes liées à l’exploitation d’un parc de machines. Autrefois, le schéma était clair : un fournisseur, un technicien opérateur, un autre chargé de la maintenance qui intervenait pour des opérations régulières sans lien direct avec l’état de marche de la machine, et un réparateur pour la remettre en marche une fois l’incident réglé. La maintenance prédictive balaye ce schéma d’un revers de main : les machines sont équipées de multiples capteurs qui relèvent des données que l’IA peut ensuite analyser, notamment pour déduire la durée de vie restante de chaque appareil (le Remaining Usefull Life, RUL).
Les machines émettent ainsi les données qui permettent un diagnostic. Comme dans Minority Report, le roman de Philip K. Dick dont Steven Spielberg a tiré le film éponyme où les criminels sont arrêtés avant d’avoir commis leur forfait par une brigade spéciale nommée Precrime, ici les machines sont entretenues, les pièces changées avant la rupture qui les immobiliserait pendant de longues journées. Il s’agit toujours d’agir avant que l’incident ait lieu. C’est en cela qu’il s’agit de prédictibilité. C’est l’Internet des Objets (IoT) auquel l’Intelligence Artificielle est susceptible d’offrir toute sa potentialité. Et bien sûr, l’analyse des données permet une analyse statistique de plus en plus poussée qui non seulement facilite l’entretien mais a des conséquences en rétroaction sur la conception des pièces (formes et matières) pour qu’elles soient plus efficaces et moins sensibles à l’usure. Plus les parcs de machine sont volumineux, plus les données sont nombreuses, plus les fabricants ont intérêt à prendre en main la maintenance de leur parc. Collecter des données de fonctionnement de 10 machines n’offre pas les mêmes enseignements qu’en collecter sur 10 000 ou 1 million.
Le traitement des données par l’IA peut (ou doit) désormais être mutualisé afin de faire bénéficier à l’ensemble du système de production de l’analyse d’un volume conséquent de data.
Si la donnée s’installe comme source principale d’information et de prévision des pannes, alors la collecte de données est l’enjeu fondamental de l’industrie contemporaine. Changements de compétences, de ressources, plans de formation, réduction des effectifs, la dynamique humaine dans son ensemble est donc bouleversée. Pour un fournisseur de machines industrielles, le data manager devient central. Pour un industriel, la mutualisation de l’analyse des données relatives à son système de production peut se révéler un atout de poids sur un marché de plus en plus concurrentiel. Pour un technicien chargé de la maintenance en revanche, l’horizon semble plus incertain, impliquant une nécessaire adaptation au nouveau circuit de production.
Là encore, la collecte de données est une discipline qui s’inscrit dans un contexte bien plus vaste que le seul périmètre industriel. L’IoT se développe à vitesse grand V et, en exagérant à peine, un frigo connecté pourrait demain être aussi utile qu’une machine de l’unité de production, à condition de savoir valoriser les informations reçues. En d’autres termes, le rôle central de la donnée décloisonne l’industrie et la force à se redéployer en faisait fi de ses frontières physiques.
Une autre culture
Au-delà des changements d’organisation, la maintenance préventive et plus tard la maintenance prédictive ont eu, ont et auront ainsi une influence sur toute la structure sociale. Le secteur industriel va pouvoir produire mieux (en réduisant le nombre d’erreurs), moins cher (grâce aux économies d’échelle qui seront réalisées sur les coûts de maintenance, à la diminution de la main d’œuvre…), plus vite (en limitant au maximum les temps d’arrêt des machines). Mieux, moins cher, plus vite : le rêve de tout entrepreneur. Au-delà de la maintenance, c’est l’Intelligence Artificielle dans son ensemble qui va bouleverser les moyens de production, et donc la société tout entière. Car au système optimisé de maintenance prédictive correspond une myriade de facteurs : des moyens de production interconnectés (autant de capteurs d’état de fonctionnement), une alimentation constante de l’entreprise en données de marché, un rendement optimisé et une automatisation permanente du volume de production. Le lean management 4.0, en quelque sorte. En bref, l’usine du futur est peut-être là, mais la place de l’humain n’y est pas encore très claire. Sa valeur ajoutée non plus.
On entend parfois que certaines personnes « parlent aux machines ». Elles les écoutent aussi. Savent détecter le moindre bruit qui ne va pas, la moindre cadence arythmique. Le fruit sans aucun doute d’une expérience et d’une compétence acquise peu à peu sur le terrain, apanage de quelques-uns. Sans rien retirer à leur mérite ou à leur expertise, la capacité de calcul de l’Intelligence Artificielle appliquée à la maintenance prédictive pourrait très vite concurrencer ces savoir-faire aujourd’hui si précieux.
Le changement culturel induit par le déploiement de solutions où l’IA intervient induit aussi une réflexion sur la notion de responsabilité. Plus le champ d’action de l’IA est vaste, plus ses responsabilités devraient être nombreuses. Or la responsabilité est précisément le propre de l’humain. Comment résoudre cette équation ? Petit pas de côté : l’exemple de la voiture connectée est sur ce point captivant. Les statistiques prouvent que la voiture connectée est plus fiable que l’humain au volant. Moins d’accidents, moins de drames, moins de variables potentiellement dangereuses. Pour autant, il est inacceptable, aujourd’hui, de tolérer la moindre blessure due à la conduite de l’IA. C’est une question éminemment morale.
La dimension « optimisation » de la solution technologique, aussi efficace soit-elle, est loin d’être la plus déterminante dans son acceptation et donc son déploiement global. Le changement de culture ne se résume pas à une question technologique, mais implique une dimension résolument humaine que le progrès ne pourra jamais mettre de côté. En tout cas, souhaitons-le.
Matthieu BEGHIN est diplômé de l’Université de technologie de Compiègne (UTC), en Génie des Systèmes Mécaniques. Il a travaillé en France, en Chine et au Maroc, sur des postes d’abord industriels puis s’orientant vers les projets de transformation digitale. Chef de projet ERP puis DSI dans différents groupes, sur des activités de fabrication de machines puis de transformation des aciers, il a pu mesurer toute l’importance des équipements de production, et de leur maintien en condition opérationnelle. Il a par deux fois travaillé en sociétés de service en informatique de gestion, ce qui lui donne un regard croisé sur les problématiques industrielles et digitales. Attentif aux évolutions technologiques, mais également sociétales, il nous partage ses réflexions sur les évolutions en cours dans le domaine de la maintenance, en lien avec l’irruption de l’Intelligence Artificielle.
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